Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

absorption d’une cervelle qui recommence à créer. Je me sentais enlevé de mon existence personnelle, et transporté, avec une petite fièvre, dans la fiction de mon roman. Des êtres, nés de ma rêverie, commençaient à prendre autour de moi une réalité vivante, des morceaux d’écriture se rangeaient dans le dessin vague d’un plan naissant. Là-dedans un coup de sonnette, et dans ma boîte à lettres, une lettre qui m’apprend que le marchand de cuirs qui me doit 80 000 francs ne m’a pas payé le trimestre de la rente qu’il me doit, et me laisse supposer que des mois, des années peuvent se passer dans l’absence de presque toute la moitié de mon revenu, et les tracas d’un procès.

Adieu le roman. Toute la légère fabulation s’est envolée, s’est perdue dans le vide, comme un oiseau sous un coup de pierre, et tous les efforts de mon imagination, travaillant à ressaisir l’ébauche de création de la soirée, n’aboutissent qu’à reconstruire dans ma cervelle, et me faire toute présente, la néfaste figure de M. Dubois, huissier, rue Rambuteau, no 20.

Mardi 10 août. — Quand nous sommes entrés chez la dame, dans le jour voilé de sa galerie d’hiver, elle donnait de petits écheveaux de pâte sèche, de petits ronds de vermicelle, aux poissons rouges de son aquarium.