Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/268

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sans nourriture dans le froid glacial d’un cabinet, au sortir duquel la duchesse lui ouvrant les bras, le rejette bientôt hors du lit, d’un coup de pied.

On sort de table. Banville et moi allons fumer une cigarette dans l’escalier, avec la promesse d’un fumoir dans un avenir prochain.

Nous retrouvons Hugo, dans la salle à manger, debout et tout seul, devant la table, préparant la lecture de ses vers : une préparation qui a quelque chose de la manipulation préventive d’une séance de prestidigitation, où le prestidigitateur essayerait dans un coin, ses tours.

Et voilà Hugo s’adossant à la cheminée du salon, le voilà à la main la grande feuille de papier de sa copie transatlantique, — un fragment de ces manuscrits légués à la Bibliothèque, et qu’il nous dit être écrits sur du papier de fil, pour en assurer la conservation.

Puis il met lentement ses lunettes, que longtemps une certaine coquetterie lui a fait repousser, essuie longuement de son mouchoir, et pour ainsi dire, avec des gestes rêveurs, la sueur qui perle sur les veines turgescentes de son front.

Il commence enfin, jetant, en forme d’exorde, comme pour nous avertir qu’il a encore des mondes entiers dans la tête : « Messieurs, j’ai soixante-quatorze ans, et je commence ma carrière. » Il nous lit le « Soufflet du père », une suite de la Légende des siècles, où il y a de beaux vers surhumains.

Il est curieux à voir lire, Hugo ! Sur la cheminée,