Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/28

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raine, il l’interrompt en nous jetant : « Messieurs, je me trouvais en Italie, en 1866, un Autrichien, le comte Donski me dit : “Vous êtes des maladroits, nous aussi parbleu… mais vous êtes des maladroits, parce que vous vous préparez une guerre avec l’Allemagne, une guerre qui vous enlèvera l’Alsace et la Lorraine.” Et comme je me récriais à propos de l’audace de l’assertion : “Et l’Alsace et la Lorraine seront à jamais perdues pour vous, reprit le comte, parce que les petits États s’en vont, et que la faveur est pour les grands, parce que vous ne vous doutez pas de ce que l’Allemagne, après sa consolidation et votre amoindrissement, deviendra comme puissance maritime, et quelle préférence auront, en ce temps d’intérêt matériel, vos anciens nationaux pour un grand pays riche, qui demandera beaucoup moins d’impôts que leur ancienne patrie.”

« Un autre fait, messieurs, que je vous demande la permission de citer. J’ai un domestique stupide et bègue, que je garde absolument pour son amour du cuivre qui brille. Le poli des choses : c’est du fanatisme chez lui. Or donc, un jour à déjeuner, après la signature de la paix, j’étais questionné par mon ordonnance sur la nationalité d’un de ses camarades, né dans un canton avoisinant Belfort, et comme je lui disais : “Ma foi, il se peut bien qu’il devienne Prussien, mais je n’en suis pas sûr, je te dirai cela demain.” Alors mon bègue s’écriait : “Oh ! oh ! il serait di-diantrement heu-eu-reux, il ne payerait pas comme dans la Tou-ouraine !” »