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marchent le long de la rivière, dans l’ombre des grands arbres. Lentes, elles passent détachées sur un champ d’avoine, tout ensoleillé. Elles apparaissent ainsi, comme de rustiques cariatides, peintes en grisaille sur un fond d’or.

Mercredi 15 août. — Une population de village un peu effrayante, — c’est celle de Robert-Espagne — qui a pour le bourgeois, le regard hostile d’un mauvais quartier de Paris, la veille d’une insurrection.

La Truchotte, la marchande d’écrevisses, chez laquelle nous allons, une vieille femme, la tête nue, où il y a une raie, comme un large tracé d’une route vicinale, en un pays de landes. Sa fille, la Lancière, n’y est pas. Un petit bonhomme de cinq ans nous précède, au bord de la rivière, bégayant des jurements, et armé d’un grand fouet, dont il fouaille les poules sur le chemin. Il se jette sur mes mains pour les mordre, quand je fais mine de lui ôter ce fouet, qu’il me fourre à la fin dans le derrière, en manière de me demander une cigarette. Et voilà l’affreux môme, que sa grand’mère nous dit déjà boire de l’eau-de-vie comme un homme, qui, toussaillant et pleurant, fume, pendant que sa chemise breneuse sort par sa culotte fendue.

Cet enfant est un symbole : il me représente l’avenir des campagnes.