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Cela me rappelle l’anecdote que me racontait, il y a quelques jours, Burty avec lequel je causais tapisseries. Il avait une heure à perdre à Nemours. Ne sachant que faire, il entre dans la boutique d’un mauvais petit revendeur, chez lequel il trouve un joli morceau de tapisserie. Il lui demande s’il n’en a pas d’autre. « C’est bien dommage que vous ne soyez pas venu la semaine dernière, lui dit le revendeur, le grenier en était plein, mais un tanneur a tout pris pour recouvrir ses cuves. »

Or, ce qui couvre les cuves d’une tannerie est perdu, brûlé.

Vendredi 1er mars. — Ziem tombe chez moi. Il trouve entr’ouvert sur ma table un album japonais. Le voici, aussitôt, qui se met à parler de la parenté de ces images avec Giotto, avec les primitifs, à parler d’une perspective commune à ces deux arts — obtenus chez les Italiens, par des moyens plus timides, moins choquants — d’une perspective qui met en vue le centre de la composition, et permet de la peupler avec un monde, au lieu d’y placer deux ou trois têtes mangeant tout.

Trouvant une paire d’oreilles qui l’écoutent, et une cervelle qui a l’air de le comprendre, mon homme jette au loin le makintosh qui l’enveloppe, et, sans exorde, et sans préparation, tout en arpentant la bibliothèque, me raconte sa vie.