Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/51

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Jeudi 14 mars. — Théophile Gautier n’est pas venu hier dîner chez la princesse. Il est plus malade, et doit voir aujourd’hui Ricord. Je n’aime pas savoir Ricord au chevet d’un malade. C’est aujourd’hui l’enterreur officiel. Sa présence semble précipiter les décès. Je me rappelle Murger, Sainte-Beuve, etc.

Théo me dit, ce soir, avec le ton doucement splénétique qui est un charme tout particulier chez lui : « Ricord croit que c’est la valvule mitrale du cœur qui ne va pas : ou elle se relâche ou elle se resserre. Il m’a ordonné du bromure de potassium, dans du sirop d’asperge, mais ce n’est qu’un traitement provisoire. Il doit revenir samedi. »

Et nous causons, Théo, l’oreille près de moi, dans une de ces poses tortillées et agenouillées sur un fauteuil, pose qu’il prend quand il cause de choses qui le passionnent, il me demande si je trouve de l’intérêt à son Histoire du Romantisme. Il est un peu inquiet. Il se sent si souffrant, si fatigué, qu’il ne croit pas que ça vaille ce qu’il aurait pu faire. Il regrette que la forme du journal ne lui permette pas de développer l’esthétique de la chose… Il se réserve de faire cela, quelque jour, dans une revue.

Puis bientôt revenant à ce dégoût de son métier, dégoût que j’ai rencontré, dans les derniers temps, chez Gavarni, il s’écrie : « Ah si j’avais une petite rente, là toute petite, mais immuable, comme je m’en irais d’ici, tout de suite… comme j’irais vers un bout de pays, aux rivières, où il y de la poussière dedans et qu’on balaye… Ce sont les rivières que