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Page:Goncourt - Journal, t7, 1894.djvu/239

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Et tout le monde sait que les trois porteurs des chapeaux verts, sont morts fous.

Après dîner, je cause avec Rodin qui me raconte sa vie de labeur, son lever de sept heures, son entrée à l’atelier à huit, et son travail, seulement coupé par le déjeuner, allant jusqu’à la nuit : travail debout ou perché sur une échelle qui l’écrase le soir, et lui donne le besoin de son lit, au bout d’une heure de lecture.

Il me parle de l’illustration des poésies de Baudelaire, qu’il est en train d’exécuter pour un amateur, et dans le fond desquelles, il aurait voulu descendre, mais la rémunération ne lui permet pas d’y mettre assez de temps. Puis, pour ce livre qui n’aura pas de publicité, et qui doit rester enfermé dans le cabinet de l’amateur, il ne se sent pas l’entrain, le feu d’une illustration, commandée par un éditeur. Et comme je lui dis un mot du désir, que j’aurai un jour de lui voir illustrer : Venise la Nuit, il me fait observer, qu’il est un homme du nu et non de draperies.

Il s’étend ensuite longuement sur le buste de Hugo qui n’a pas posé, mais qui l’a laissé venir à lui, autant qu’il a voulu, et il a fait du grand poète un tas de croquetons — je crois soixante, à droite, à gauche, à vol d’oiseau, — mais presque tous en raccourcis, dans des attitudes de méditation ou de lecture, croquetons avec lesquels, il a été contraint de construire un buste.

Et Rodin est plaisant à entendre conter les batailles,