Page:Goncourt - Journal, t7, 1894.djvu/336

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pour vous. Oui, j’aime votre vue nette de la vie, j’aime votre amour pitoyable de ceux qui aiment et qui souffrent, j’aime surtout la sobriété discrète et vraie de votre émotion, de vos peintures les plus poignantes. Merci de ne point sacrifier au goût du gros public, de ne point lui faire de concessions, ni même de demi-concessions.

R…
Élève de l’École normale.

Le nom du signataire de la lettre, monsieur Sarcey, vous me permettrez de ne pas l’imprimer en toutes lettres, j’aurais trop peur que vous le fassiez enfermer dans l’ergastulum de l’École.

Ce soir, pendant l’heure que je passe à l’Odéon, quelques sifflets, qu’exaspère l’apostrophe d’une jeune femme, assise aux fauteuils de balcon, jetant aux siffleurs : « Ils sifflent parce qu’ils se sentent capables d’en faire autant que Jupillon ! »

Jeudi 27 décembre. — Discussion à table avec Daudet, où je soutiens qu’un homme qui n’a pas été doué par Dieu du sens pictural, pourra peut-être, à force d’intelligence, goûter quelques gros côtés perceptibles de la peinture, mais n’en goûtera jamais la beauté intime, la bonté absconse au public, n’aura jamais la joie d’une coloration, et je lui parlais à ce propos de l’eau-forte, de ses noirs, de certains noirs de Seymour-Haden qui mettent l’œil dans un état d’ivresse chez l’homme, au sens pictural. Je lui