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Page:Goncourt - Journal, t7, 1894.djvu/61

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des armes dans le billard, Barbey d’Aurevilly, toujours dans un costume étrange, et avec la dure teinture de la barbe et des cheveux, lui donnant l’aspect d’une figure de cire de chez Curtius, Barbey nous conte sa jeunesse.

Il nous dit l’aspect sévère, janséniste, de la maison paternelle, dans laquelle il commence à s’ennuyer fort à dix-sept ans. Son père, un légitimiste forcené, se refuse à ce qu’il serve Louis-Philippe. Il lui demande alors de faire son droit : demande à laquelle le père acquiesce, à la condition toutefois que ce ne sera pas à Paris, parce qu’il y ferait les cent coups. Il fait donc son droit à Caen, où étant devenu l’amant d’une femme, son père exige qu’il fasse un choix entre lui et la femme. Il n’hésite pas un moment dans son choix.

Alors commence à dix-sept ans, une vie pendant laquelle son père ne lui envoie pas une pièce de cent sous. Et ce n’était pas commode à gagner sa vie dans ce temps-là, où l’on payait si peu, et où « il ne consentit jamais — s’écrie-t-il avec fierté — à supprimer une phrase dans un article : ce que sachant les rédacteurs en chef des journaux, ils en profitaient pour ne lui faire passer que deux articles, sur les quatre qui étaient stipulés dans le traité. »

Et il avait dû faire des dettes… avec des créanciers dont il dit le plus grand bien. De dures années, pendant lesquelles il ne reçut pas un bout de lettre de sa mère, de sa mère qui avait une telle adoration pour son mari, que dans la crainte de le contrarier,