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Jeudi 10 octobre. — Ce soir, Rollinat qui se trouve à Paris, est venu dîner chez Daudet. Il a une figure toute jeune, toute rose, toute poupine, et le macabre de ses traits a disparu. Il parle, avec une espèce d’enthousiasme lyrique, de ses chasses, de ses pêches : des pêches au chevaine, où l’hiver il casse la glace, enfin de cette vie active et en plein air qui a remplacé la vie factice, artificielle, enfermée, et sans sommeil de sa jeunesse : vie, il n’en doute pas, qui l’aurait tué. Maintenant il ne sait plus travailler à une table, et si on lui en apporte une, il la brise, et en jette les morceaux au diable. Il lui faut les chemins sauvages, sur les bords de la grande et de la petite Creuse, où il parle tout haut ses vers, où, comme disent les paysans, il plaide.

Il s’étend sur son bonheur dans la solitude, sur sa maison éloignée de toute habitation, où la nuit, au milieu de ses trois chiens couchant dans trois pièces, il a une espèce de frisson peureux agréable, au grognement trois fois répété, annonçant un passant sur la route. Étrange maison, où se succèdent des peintres, où l’hospitalité est donnée à des montreurs d’ours, où le préfet vient déjeuner, où les gens d’alentour se rendent à la pharmacie : maison faisant l’étonnement des Berrichons de la localité.

Et sa compagnie, et son intimité, le croiriez-vous, c’est avec le curé ! oh ! un curé de la cure de Rabelais et de Béranger, ayant la carrure d’un frère Jean des Entommeures, et pouvant tenir une feuillette de vin. C’est lui qui, à une messe de minuit de Noël, où les