Page:Goncourt - Journal, t8, 1895.djvu/54

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Ce soir, dîner offert chez Marguery, par les amis du Grenier et autres lieux, à l’auteur de Germinie Lacerteux et de la Patrie en danger. Ce dîner est le prétexte à l’ouverture, chez le restaurateur, d’une salle recouverte d’une tenture, comme enduite d’un strass aveuglant, et aux sculptures moyenâgeuses, dans le genre du moyen âge, que les Fragonard fils, sous la Restauration, mettaient à l’illustration des Clotilde de Surville : une terrible décoration qui aurait coûté cent mille francs, et qui, toute la soirée, sert de thème aux horripilations artistiques de Huysmans.

À ce dîner on est trente-cinq, trente-cinq goncourtistes me montrant une franche sympathie.

J’ai à ma gauche Rops, le causeur coloré, à la phrase fouettée, et qui m’entretient tout à la fois du dramatique de la campagne de 1870, et de sa folie amoureuse pour les rosiers de son jardin de Corbeil. En un croquis parlé de peintre, il me silhouette un de Moltke, faisant la campagne de France en pantoufles. Puis il m’introduit, au crépuscule, dans une chaumière, où au moment de prendre une pomme de terre dans un pot de fonte sur le feu, il est soudain arrêté par la vue d’une femme couchée à terre sur la figure, et les cheveux répandus ainsi qu’une queue de cheval dans une mare de sang, et comme il sort dans la cour, il se trouve en face d’un homme appuyé debout sur une herse, en train de mourir, avec un restant de vie dans les yeux, épouvantant. Un spectacle qui l’a rempli d’une terreur nerveuse