Page:Goncourt - Journal, t9, 1896.djvu/274

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La lecture terminée de : la Faustin, Porel me dit justement, que la pièce ne peut pas être jouée par Réjane, qu’elle n’a pas la ligne du rôle, qu’il faut une tragédienne, qu’elle ne servirait pas la pièce, et que même la pièce nuirait à l’actrice, comme voulant usurper des rôles qui n’étaient pas son affaire.

Ce soir dîner avec Ajalbert, Geffroy, Carrière, Clemenceau, en leur restaurant près la Fontaine Gaillon.

Clemenceau, un causeur vibrant, coloré, à l’observation fine, aiguë.

Un moment il nous parle de l’abandon des enfants, et il nous peint une mère forcée de se séparer de son petit, le regardant dans les bras qui l’ont pris, le regardant sans pouvoir s’en aller, en continuant à bercer le creux qu’il a laissé dans sa jupe, puis mouillant ce creux, de ses larmes.

Il raconte, après un épisode d’une chasse de sa jeunesse, où en revenant, il allait donner un coup d’œil à un châtaignier, dont les châtaignes étaient volées toutes les années, désireux de s’assurer si elles étaient mûres. Ce châtaignier était dans un buisson de ronces d’une hauteur d’une dizaine de pieds. « Il y a un homme là… tenez ! » s’écriait tout à coup le petit domestique qui l’accompagnait, et Clemenceau voyait en effet un homme, couché sur le ventre, et qui, lorsqu’il l’appelait ne répondait pas, se mettait à ramper à quatre pattes, en s’éloignant de lui, et dont il ne savait la place, que par le remuement du haut des brindilles. Alors il se lançait avec