Page:Goncourt - Journal, t9, 1896.djvu/279

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Jamais Paris, dans la criée courante des journaux du soir, dans l’enchevêtrement des voitures, dans la rapidité volante des bicycles, dans la ruée affairée des gens, dans le coudoiement brutal des passants, ne m’est apparu si nettement, comme une capitale d’un pays de la Folie, habitée par des agités.

Jamais aussi, le Paris de ma jeunesse, le Paris de mon âge mûr, ne m’a paru aussi miséreux que le Paris, de ce soir. Jamais tant d’œils tendres de femmes, ne m’ont demandé un dîner, jamais tant de voix mourantes d’hommes, ne m’ont demandé un sou.

— Oui, disais-je, ce soir chez Mme …, ces nouvelles lumières du gaz, du pétrole, de l’électricité, ces lumières crûment blanches et sèchement découpantes, quelles cruelles lumières auprès de la douce et laiteuse lueur des bougies. Et comme le XVIIIe siècle a bien compris l’éclairage de nuit, mettant en douce valeur la peau de la femme, en la baignant d’une lueur assoupie et diffuse de veilleuse, dans l’enfermement de tapisseries crème, où la lumière est bue par la laine des claires tentures.

Mardi 11 décembre. — Dans un salon, ce qui donne de la vie, de la chaleur à une société, à défaut d’affections de cœur entre les gens, ce sont les affections cérébrales, nouées entre les communiants d’une même pensée, d’une même élaboration intel-