Page:Goncourt - Journal, t9, 1896.djvu/82

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« Et, toujours au bout de la battue, quelque heureuse trouvaille, qu’on me mettait dans les bras, et que je portais, comme j’aurais porté le Saint-Sacrement, les yeux sur le bout de mes pieds, et sur tout ce qui pouvait me faire tomber. Et le retour avait lieu, dans le premier et expansif bonheur de l’acquisition, faisant tout heureux le dos des trois femmes, avec, de temps en temps, le retournement de la tête de ma tante, qui me jetait dans un sourire : “Edmond, fais bien attention de ne pas le casser !”

« Ce sont certainement ces dimanches, qui ont fait de moi le bibeloteur que j’ai été, que je suis, que je serai toute ma vie. »

Mais ce n’est pas seulement à ma tante que je dois le goût de l’art — du petit et du grand — c’est elle qui m’a donné le goût de la littérature. Elle était, ma tante, un esprit réfléchi de femme, nourri, comme je l’ai dit, de hautes lectures, et dont la parole, dans la voix la plus joliment féminine, une parole de philosophe ou de peintre, au milieu des paroles bourgeoises que j’entendais, avait une action sur mon entendement, et l’intriguait et le charmait. Je me souviens qu’elle disait un jour, à propos de je ne sais quel livre : L’auteur a touché le tuf, et cette phrase demeura longtemps dans ma jeune cervelle, l’occupant, la faisant travailler. Je crois même que c’est dans sa bouche, que j’ai entendu, pour la première fois, bien avant qu’ils ne fussent vulgarisés, les mots subjectif et objectif. Dès ce temps, elle