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Page:Goncourt - Quelques créatures de ce temps, 1878.djvu/108

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joyeusetés intarissables. Il semblait qu’il tirât au sort dans une casquette les mots et les idées ; et des phrases insolites, les plus étranges défis à la grammaire, des lazzis en dehors de toute syntaxe, toute une langue tordue comme un kriss malais, toute une littérature à lui, macaronique et inimitable, s’envolait de sa bouche crispée par les tournoiements de l’ébriété. Au milieu des rires qui accueillaient ses saillies, il restait grave et blême, presque humilié d’une galerie, comme un Debureau sur une chaise curule. Et, chose étonnante, de ce Pierrot dont il avait si bien la face, il avait aussi les mignons vices ; il eût très-bien passé par les sept compartiments d’un dessin allemand des sept péchés capitaux. Il était voluptueux, goinfre, ladre, et prudent ; si prudent qu’il persuadait souvent le soir à un de ses amis qui s’en retournait de la rue d’Alger rue des Petits-Champs, que son plus court était de passer par les Batignolles. Ainsi, Ourliac se faisait reconduire jusque chez lui ; mais il faut dire qu’il payait la reconduite de C… et charmait le chemin par des romans, récits, histoires, propos, bons contes, pantalonnades à dérider même