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celui que tu adores, est maintenant cloué sur un lit de douleur ; il est blessé gravement, il va mourir. Aime le mais ton amour va descendre dans la tombe. Tu trembles à présent, tu crains pour lui, tu souffres : je suis content, tu endures les tortures que tu m’as fait subir.

— Tu mens, non, il ne mourra pas, non, il n’est pas blessé, c’est seulement pour déchirer mon cœur que tu parles ainsi, mais prends garde.

— Tu ne crois pas, eh bien ! va demander à l’armée française ce qu’est devenu le major de Marville.

— Oui, j’irai, s’il est blessé, s’il est mourant, je le sauverai. J’ai appris d’une vieille Iroquoise la vertu secrète de plusieurs plantes ; si le moment est venu, je les emploierai, il survivra pour que je l’aime, et je l’aurai sauvé.

Disant l’Indienne s’élança, rapide comme une flèche, dans le sentier qui s’étendait devant elle. Sa course ne se ralentit que lorsqu’elle eut atteint la petite chute. Là elle s’arrêta tout à fait, et retenant les palpitations de son cœur, elle regarda d’un œil hagard les eaux bouillonnantes.

— L’Esprit des songes ne m’avait pas trompée, dit-elle, et des larmes abondantes coulèrent sur ses joues brunes, mais les essuyant aussitôt, elle reprit sa course et s’engagea dans la côte qui sépare les deux Lorettes.

CHAPITRE VI
fleur du printemps paie sa dette.

Deux semaines se sont écoulées depuis les événements que nous venons de raconter.

Pénétrons de nouveau dans l’appartement où est retenu Robert de Marville.

Il dort en ce moment. Ses traits sont empreints d’une grande souffrance, et de temps en temps son sommeil est agité par des secousses nerveuses. Près de lui, Géraldine agenouillée, prie, mais sa prière est souvent interrompue, elle regarde le jeune homme et pousse de profonds soupirs. Robert est condamné ; M. Auricourt n’a plus aucun espoir. La jeune fille ne peut penser à cette sentence sans frissonner, depuis deux semaines, elle a veillé le malade avec sollicitude, elle a suivi avec anxiété les progrès qui se sont manifestés dans sa maladie, et maintenant tout est perdu ; son âme est remplie de tristesse, elle voudrait n’avoir jamais connu Robert.

— Mon Dieu, murmure la jeune fille, en joignant les mains, sauvez-le, vous seul êtes tout-puissant.

Robert ouvre les yeux.

— Quoi ! dit-il d’une voix faible, vous êtes encore là, nuit et jour, vous veillez. C’est trop de bonté, allez donc prendre quelque repos.

— Je ne suis pas fatiguée, répondit-elle émue.

Il prit sa main et la pressa dans la sienne.

— Vous voulez me le cacher mais ce serait abuser de votre bonté si je consentais à ce que vous demeuriez ici plus longtemps, rendez-vous à mes désirs, je vous en prie, allez vous reposer.

Géraldine baissa les yeux pour cacher une larme, elle aurait voulu rester, il lui semblait qu’à chaque parole du jeune homme, la vie s’affaiblissait en lui, mais elle n’osa insister.

— Eh bien ! je vais envoyer Madeleine, et je reviendrai demain, vous serez mieux, au revoir.

— Dieu le veuille, dit-il et un sourire passa sur ses lèvres.

Lorsqu’elle eut quitté la chambre, il laissa échapper un gémissement.

— Que je souffre, je sens venir la mort. Pauvre enfant, elle croit que je serai mieux demain, et mes souffrances augmentent, je ne voulais pas qu’elle fut témoin de ce que j’endure.

Un faible cri s’échappa de ses lèvres, il essaya de se soulever, mais il retomba sur son oreiller, privé de connaissance. Madeleine entrait. Elle le regarda et croyant qu’il dormait, s’assit dans un fauteuil, où elle ne tarda pas à reprendre son sommeil que Géraldine avait interrompu en lui disant d’aller veiller Robert.

Alors la soupente du lit se souleva lentement, et une tête apparut, deux grands yeux noirs brillèrent, et enfin la silhouette élégante d’une femme se montra. Elle se pencha vers le malade puis déposa un baiser sur son front.

— Non Robert, tu ne mourras pas, murmura-t-elle en posant la main sur son cœur, car je veille sur toi. Tu m’as sauvée, je ne suis pas une ingrate et si tu ne m’aimes pas, du moins je me souviens que tu as exposé ta vie pour moi ; Robert, la fille du grand chef va payer sa dette.

Disant l’Indienne tira de sa ceinture une petite fiole remplie d’une liqueur verte, l’ouvrit et laissa tomber plusieurs gouttes de son contenu sur les lèvres du jeune homme, ensuite elle débanda sa plaie, l’imbiba de cette même liqueur, et replaça les bandages avec soin. Ceci fut fait avec une rapidité extraordinaire, Robert n’avait pas repris ses sens.

— À présent, fit Fleur du Printemps, la gangrène qui commençait, va disparaître ; dans quelques jours il sera en voie de guérison.

Puis se retournant, elle lui dit adieu, dans un long regard d’amour, et laissa la chambre sans avoir été vue.

Quelques heures plus tard lorsque M. Auricourt vint rendre visite à son malade, il fut surpris du changement qui s’était opéré chez lui. En le voyant, Robert lui dit :

— Cher docteur, je crois que je suis sauvé, je ne ressens plus que de faibles souffrances, hier encore je croyais que tout était fini, les douleurs que j’endurais étaient insupportables, et aujourd’hui, je me sens presque bien, il me semble que je pourrais marcher. C’est à vous que je dois ma guérison.

M. Auricourt le regardait tout surpris, la veille, il avait laissé son malade mourant, et il le retrouvait hors de danger.

— Je suis heureux du mieux que vous éprouvez mon cher Robert, mais ce n’est pas à moi que vous le devez, la science n’est pour rien dans votre guérison. La Providence seule a agi.

En débandant la plaie du jeune homme, le docteur s’aperçut que les bandages avaient été déplacés. Il demanda à Robert si c’était lui, sur sa réponse négative, il interrogea Madeleine et les autres domestiques de la maison, mais chacun répondit que ce n’était pas lui.

— Alors il faut que ce soit vous Robert qui avez fait ce changement, sans en avoir eu connaissance, dit le docteur.

Il fallut admettre cette supposition.

Robert devint de mieux en mieux, et tout le monde reprit sa gaîté chez le docteur Auricourt.