Page:Gonneville - Trois ans en Canada, 1887.djvu/39

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
36

— Enfin te voilà !

— Oui, es-tu toujours décidée à sauver Robert de Marville, en devenant ma femme ? ou le laisseras-tu périr en refusant ?

L’indienne jeta au ciel un regard suppliant.

— Je veux le sauver, répondit-elle.

— Alors suis-moi.

Fleur-du-Printemps obéit. Ils se mirent tous deux en route.

Onze heures sonnèrent en ce moment.

La jeune fille et son compagnon marchèrent jusqu’au jour, suivant les bords du St Laurent en descendant sa source, il était quatre heures, lorsqu’Alléomeni s’arrêta.

Un immense rocher s’élevait devant eux.

Vois-tu cette masse, dit-il, c’est dans son intérieur que le major de Marville est retenu prisonnier depuis longtemps ; mais tu ne peux le délivrer sans que je te donne le secret qui en forme l’entrée ; ainsi promets-moi encore, que tu tiendras ta parole.

— Tu sais que je ne mens jamais.

— C’est vrai ; ainsi va donc.

Il se pencha à son oreille et lui dit quelques mots. Le regard de Fleur-du-Printemps s’illumina de joie et agile comme une biche, elle gravit le rocher.

Le sort de Robert était maintenant entre ses mains.

CHAPITRE XXIII
le doigt de dieu.

La chapelle des Ursulines était remplie de monde ; chacun dans un recueillement profond attendait la venue d’une nouvelle vierge qui allait pour toujours se consacrer à son Dieu.

Soudain le silence fut interrompu, par les sons de l’orgue et en même temps une jeune fille, pâle et tremblante, vêtue de blanc, s’avança d’un pas lent vers l’autel.

À son approche, un frisson parcourut l’assemblée, en la voyant si jeune et si belle, avec ses habits de fête dont elle allait se dépouiller à jamais.

Un sentiment de tristesse s’empara de tous les cœurs lorsqu’elle s’agenouilla pour dire un adieu suprême au monde.

Deux religieuses s’approchèrent de Géraldine et firent tomber les fleurs qui ornaient sa tête, puis l’une d’elle souleva la chevelure de la jeune fille, qui se déroulait en boucles épaisses sur ses épaules ; et sous ses ciseaux, une mèche tomba.

Un sanglot se fit entendre ; c’était Madeleine qui pleurait.

Agenouillée près d’elle, une jeune religieuse avait aussi porté son mouchoir à ses yeux.

— Mon Dieu, murmura-t-elle, faites que comme moi, la pauvre enfant, trouve la paix de son âme dans ce sanctuaire.

Déjà les fatals ciseaux se rouvraient de nouveaux, lorsque soudain la porte s’ouvrit et un jeune homme s’avança vers l’autel, mais à peine avait-il aperçu Mlle Auricourt, qu’un cri perçant retentit sous la voute silencieuse.

Géraldine ! !

À cet appel, une autre voix répondit, suivit d’un gémissement plaintif.

Robert ! !

Et notre héroïne s’évanouit.

La religieuse, dont nous venons de parler, s’élança vers elle et la reçut dans ses bras.

Tout le monde se leva, l’émotion était à son comble, mais les religieuses firent immédiatement transporter Mlle Auricourt, dans un appartement voisin, où personne ne fut admis.

Tous se retirèrent à l’exception de Robert.

— Laissez-moi entrer, disait-il, il faut que je voie Mlle Auricourt.

— Impossible, répondit la tourière, c’est contre le règlement.

— Il le faut, il le faut, répétait M. de Marville, je ne puis partir sans l’avoir vue ; je demeurerai ici jusqu’à demain si vous me refusez. Allez prévenir la supérieure qu’il faut que je lui parle.

— La supérieure est malade et ne peut recevoir personne.

— Alors celle qui la remplace.

La tourière hésita, mais voyant l’anxiété qui se peignait sur les traits de jeune homme, elle consentit à lui accorder ce qu’il sollicitait.

Au bout de cinq minutes, elle revint accompagnée de la religieuse qui avait secouru Géraldine.

Robert s’avança vers elle ; mais il s’arrêta soudain stupéfait ; interdit.

— Mon Dieu, est-il possible ? murmura-t-il.

Et ses bras s’entrouvrirent. La religieuse s’y précipita.

— Mon frère !

— Ma sœur !

Tels furent les deux noms qui s’échappèrent de leurs lèvres.

— C’est toi, c’est toi chère Alice ; comment se fait-il que je te retrouve ici ?

— Mon frère, mon frère, répétait-elle à travers ses larmes, sans pouvoir en dire davantage.

Leur émotion était si grande que pendant plusieurs secondes, ils demeurèrent muets.

Robert reprit le premier.

— Comment se fait-il, que je te retrouve ici ?

— Robert, lorsque je fus enlevée d’au milieu de vous, mon père me conduisit au midi de la France, dans un couvent, où il donna l’ordre de ne pas me laisser sortir. Tu peux juger combien fut grand mon désespoir, en me voyant séparée de ma mère et de toi. Cependant, au bout de quelques mois, je finis par me résigner, en sentant que ma véritable vocation, était de me faire religieuse. Je pris donc le voile et dis adieu au monde pour toujours. Alors mon père vint me visiter et m’apporta l’heureuse nouvelle que, puisque j’avais exécuté ses désirs, je pourrais revoir ma mère. Je la revis en effet. Elle pleura beaucoup en apprenant que j’étais pour toujours au couvent ; néanmoins, je parvins à la consoler en lui disant que je me sentais heureuse, et que mon seul chagrin avait été d’être séparée d’elle ; mais puisque l’on me permettait de la voir, je n’avais plus aucun sujet de tristesse. Un an plus tard, on m’envoyait ici. Robert je ne croyais pas te rencontrer dans ce pays. Dans toutes ses lettres, ma mère me parle de toi ; ton sort cause toutes ses angoisses ; combien elle sera heureuse en apprenant que je t’ai retrouvé.

— Ma mère chérie ! dis-lui Alice que son fils n’a jamais cessé un seul instant de penser à elle. Pour moi, il m’est interdit de lui écrire ; mes lettres seraient interceptées par mon père.

— Dieu permettra peut-être qu’il change, soupira la religieuse.

Après s’être entretenu encore quelques instants de sa famille, Robert dit à sa sœur.

— Alice, je viens d’éprouver un grand bonheur en te retrouvant ; mais il est une autre personne qu’il faut que je revoie aussi, conduis-moi, je t’en supplie, vers mademoiselle Auricourt, nous sommes fiancés