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OBLOMOFF.

Ce n’est point par malice ni pour faire tort au barine que Zakhare parlait ainsi ; mais par l’habitude, que lui avaient transmise son aïeul et son père, de calomnier le seigneur à chaque occasion favorable.

Par désœuvrement, par défaut de sujets de conversation, ou pour intéresser davantage son auditoire, il racontait quelquefois des choses inouïes sur son maître.

— Et le mien donc qui a pris l’habitude de courir chez cette veuve là-bas, chuchotait-il confidentiellement de sa voix enrouée. Hier il lui a écrit un billet.

Ou encore Zakhare déclarait que son seigneur était bien le plus grand joueur et le plus grand ivrogne que la terre eût jamais porté ; qu’il passait toutes les nuits jusqu’à l’aurore, et qu’il s’abîmait à jouer et à boire.

Et rien de tout cela n’était vrai : Élie n’allait point chez la veuve, et ne prenait jamais les cartes en mains. Il dormait tranquillement ses nuits entières.

Zakhare est négligent. Il se rase rarement, et se lave les mains et la figure comme pour rire ; car il n’y a pas de savon qui puisse le dégraisser. Quand il sort du bain, ses mains de noires deviennent rouges pour revenir deux heures plus tard à leur état primitif.

Il est très-maladroit : veut-il ouvrir la porte cochère ou une porte à deux battants ? Tandis qu’il ouvre le premier, l’autre se ferme. S’empresse-t-il après le second ? Le premier se referme à son tour.