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OBLOMOFF.

— Finirez, finissez, vous autres ! répétait le portier, étendant ses mains entre eux.

— Ah ! tu déchires mon habit ! s’écria Zakhare en tirant encore plus sa chemise : attends, je montrerai ça à mon barine ! Voyez, les amis, regardez ce qu’il a fait : il m’a déchiré mon habit…

— Ouais ! Moi ! dit le cocher, perdant un peu de son assurance : c’est le barine qui t’aura secoué.

— Lui, me secouer ! un barine comme cela ! riposta Zakhare, une si bonne âme ! Mais c’est de l’or plutôt qu’un barine. Que Dieu lui donne santé ! Je suis chez lui comme dans le royaume des cieux : je ne connais aucun besoin. De sa vie il ne m’a traité d’imbécile ; je vis dans l’abondance, dans le repos ; je mange de sa table, je vais où je veux. Et voilà !… Et à la campagne, j’ai une maison à moi, un potager à moi, du blé à foison ; tous les paysans me saluent jusqu’à la ceinture ! Et je suis intendant, et mangeur d’homme ! Et vous autres donc, avec le vôtre…

De colère, la voix lui manqua pour achever d’aplatir son rival. Il s’arrêta un instant afin de rassembler ses forces et d’inventer un mot venimeux, mais il ne put le trouver, tant il avait de bile sur le cœur.

— Mais voici, attends, nous verrons comment que tu t’en tireras pour l’habit. On t’apprendra à déchirer !… proféra-t-il enfin.