Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/115

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— Et le mien depuis dix mois ! dit la vieille.

Et Pélaguée entendit tinter dans sa voix quelque chose qui ressemblait à de la fierté.

Une dame de haute taille, vêtue de noir, à la figure longue et pâle dit lentement :

— Bientôt on mettra tous les gens honorables en prison… On ne peut plus les supporter.

— Oui, oui, répliqua le vieillard chauve. La patience manque. Tout le monde se fâche et crie et tout augmente de prix… et les gens diminuent de valeur en conséquence… On n’entend aucune voix conciliante…

— C’est parfaitement exact ! dit le militaire. Quelle horreur ! Il faut qu’une voix ferme ordonne enfin : Taisez-vous ! Voilà ce qu’il faut, une voix ferme…

La conversation se fit plus générale et plus animée. Chacun formulait son opinion sur la vie, mais tous parlaient à mi-voix ; et la mère sentait dans ces paroles quelque chose qui lui était étranger. Chez elle, on parlait autrement, d’une manière plus compréhensible, plus naturelle et plus ouverte.

Un gros surveillant à la barbe carrée et rousse cria :

— Femme Vlassov !

Il examina la mère de la tête aux pieds et lui dit :

— Viens !…

Il s’éloigna en boitillant ; la mère avait envie de le pousser, afin d’avancer plus vite. Enfin, dans une petite chambre, elle vit Pavel qui souriait en lui tendant la main. La mère saisit cette main, se mit à rire, en clignant de l’œil, et dit à voix basse :

— Bonjour… bonjour !

— Calme-toi, maman ! dit Pavel en lui rendant son étreinte.

— Oui… oui…

— Mère ! dit le surveillant, éloignez-vous un peu pour qu’il y ait une distance entre vous… C’est le règlement…

Il soupira et bâilla. Pavel demanda à Pélaguée des nouvelles de sa santé, de la maison… Elle attendait d’autres questions, elle les chercha dans les yeux de son fils, mais ne les trouva pas. Comme toujours, il était calme ; plus pâle seulement, et ses yeux semblaient plus grands.

— Sachenka t’envoie ses salutations, dit-elle.