Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/136

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chère !… Et c’est pour cela… c’est pour cela qu’il ne faut pas parler ainsi.

— Adieu ! dit la jeune fille.

Et au bruit de ses talons, la mère comprit que Sachenka s’en allait avec rapidité, presque en courant. Pavel la suivit dans la cour.

Une terreur accablante, atroce, envahit la mère. Elle n’avait pas compris de quoi il était question, mais elle devinait qu’un nouveau malheur la guettait, un grand malheur obscur. Et cette question : « Que veut-il faire ? » pénétra dans son cerveau comme un clou.

Pavel rentra dans la cuisine avec André ; celui-ci disait en hochant la tête :

— Ah ! cet Isaïe de malheur ! que faut-il faire de lui ?

— Il faut lui conseiller de renoncer à l’espionnage, répondit Pavel morose.

— Il dénoncera ceux qui l’avertiront ! reprit le Petit-Russien, et il jeta sa casquette dans un coin.

— Que veux-tu faire, Pavel ? demanda la mère en baissant la tête.

— Quand ?… Maintenant ?

— Le Premier… le Premier Mai ?

— Ah ! s’exclama Pavel en baissant la voix, je veux porter notre drapeau… Je me placerai à la tête du cortège, l’étendard à la main… On me mettra de nouveau en prison, probablement…

— Les yeux de la mère devinrent brûlants ; une sécheresse fiévreuse lui remplit soudain la bouche. Pavel lui prit la main et la caressa :

— Il me faut cela, mère ! C’est là qu’est le bonheur !

— Je n’ai rien dit ! prononça-t-elle lentement, en levant la tête.

Mais lorsque ses yeux eurent rencontré le regard obstiné de Pavel, elle baissa de nouveau la tête.

Il laissa tomber la main de sa mère, poussa un soupir, et reprit d’un ton de reproche :

— Tu devrais te réjouir et non pas te chagriner… Quand il y aura des mères qui enverront leurs enfants avec joie même à la mort…

— Hop, hop ! grogna le Petit-Russien. Notre bonhomme a enfourché son dada, et il va, il va !…

— Je n’ai rien dit ! répéta la mère. Je ne t’empêche pas… Si j’ai pitié de toi, c’est mon affaire…