Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/153

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— Les affaires vont bien, déclara Pavel.

— C’est réjouissant, très réjouissant… dit Rybine.

— Veux-tu du thé ? demanda la mère.

— Volontiers, et aussi un petit verre d’eau-de-vie… et, si vous m’offrez à manger, je ne refuserai pas non plus. Je suis content de vous revoir… voilà !

— Comment allez-vous, Mikhaïl Ivanovitch ? reprit Pavel en s’asseyant en face de lui.

— Assez bien. Je me suis arrêté à Eguildiévo ; vous connaissez Eguildiévo ? C’est un bon village. Il y a deux foires par année et plus de deux mille habitants. Ce sont des gens méchants. Il n’y a pas de terre pour cultiver, on loue les terrains d’apanage, mais ils sont mauvais. Je suis engagé comme manœuvre chez un exploiteur du peuple ; il n’en manque pas chez nous de ces sangsues, c’est comme des mouches sur un cadavre. Nous fabriquons du charbon, nous extrayons du goudron de bouleau. Je travaille deux fois plus qu’ici et reçois quatre fois moins, voilà ! Nous sommes sept ouvriers… chez cette sangsue… ce sont tous des jeunes gens du pays, excepté moi… ils savent tous lire et écrire… Il y en a un, Jéfim, qui est très débrouillard…

— Et vous parlez souvent avec eux ? demanda Pavel avec animation.

— Bien entendu. J’ai emporté avec moi toutes vos brochures ; j’en ai trente-quatre. Mais j’aime mieux me servir de ma Bible, on y trouve tout ce qu’on veut, et c’est un gros livre autorisé, c’est le Saint-Synode qui le publie, on peut y croire.

Il cligna de l’œil avec malice et continua :

— Seulement, ce n’est pas suffisant. Je suis venu ici pour chercher de la lecture… Comme nous allions livrer du goudron, ce Jéfim et moi, nous avons fait un crochet pour venir chez toi… Donne-moi des livres avant que Jéfim vienne… il est inutile qu’il sache tout…

La mère regardait Rybine, il lui semblait qu’en enlevant son veston, il s’était dépouillé d’autre chose encore. Il était moins grave qu’autrefois et son regard avait plus de ruse.

— Maman ! dit Pavel, allez chercher les livres… Dites que c’est pour la campagne… on saura ce qu’il faut vous donner…