Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/173

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— Pardon ! dit le Petit-Russien en souriant à Pavel. Ah ! il y en a sur la terre, de cette police !

— C’est bon ! fit la mère.

Une fatigue angoissante l’envahissait, lui faisait tourner la tête. Dans son cœur, la joie et le chagrin alternaient. Elle souhaitait que la sirène de midi résonnât bientôt.

On arriva enfin sur la grande place, au milieu de laquelle s’élevait l’église. Sur le parvis, se pressaient environ cinq cents personnes assises ou debout, gais jeunes gens, femmes soucieuses et petits enfants. Tous s’agitaient, impatients, levaient la tête et regardaient au loin, dans toutes les directions. Il y avait de l’exaltation dans l’air. Les plus résolus se heurtaient aux craintifs et aux ignorants. Un bruit sourd de frottements hostiles s’élevait :

— Mitia ! suppliait une voix féminine toute tremblante, prends garde à toi !

— Laisse-moi tranquille !

La voix familière et grave de Sizov disait, calme et persuasive :

— Non, il ne faut pas abandonner les jeunes ! Ils sont devenus plus sages que nous ; ils ont plus d’audace ! Qui est-ce qui est intervenu à propos du kopek du marais ? Ce sont eux ! Il faut s’en souvenir ! Eux, on les a mis en prison pour cela… mais tout le monde a profité de leur courage !

Le rugissement de la sirène dévora le bruit des conversations. La foule frémit ; ceux qui étaient assis se levèrent ; un instant, tout se tut, on était comme aux aguets ; un grand nombre de visages pâlirent.

— Camarades ! s’écria Pavel d’une voix ferme et sonore.

Un brouillard sec et embrasé brûla les yeux de la mère ; elle se plaça derrière son fils, d’un seul élan, recouvrant soudain ses forces. Les groupes se tournaient vers Pavel et l’entouraient comme des fragments de fer attirés par un aimant.

— Frères ! voici venue l’heure où nous renions cette vie pleine d’avidité, de ténèbres et de haine, cette vie d’oppression, cette vie dans laquelle nous n’avons pas de place, où nous ne sommes pas des hommes !

Il s’interrompit ; les travailleurs gardèrent le silence