Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/175

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chantante, nous nous sommes levés en l’honneur d’un Dieu nouveau, du Dieu de la lumière et de la vérité, du Dieu de la raison et de la bonté ! Nous partons pour la croisade, camarades, et la route sera longue et pénible ! Le but est éloigné, mais les couronnes d’épines sont proches ! Qu’ils s’en aillent ceux qui nient la force de la vérité, ceux qui n’ont pas le courage de la défendre jusqu’à la mort, ceux qui n’ont pas confiance en eux-mêmes et ont peur de la souffrance ! Nous voulons seulement ceux qui croient en notre succès ; ceux qui ne voient pas le but ne doivent pas nous suivre, car le chagrin et les souffrances les attendent. Formez les rangs, camarades ! Vive le Premier Mai, fête de l’humanité libre !

La foule se fit plus dense encore. Pavel agita le drapeau qui se déploya et flotta, éclairé par le soleil, large et rouge…

Renions le vieux monde ! entonna Fédia Mazine d’une voix sonore.

La réponse retentit comme une vague puissante et douce :

Secouons la poussière de nos pieds !…

Un sourire ardent aux lèvres, la mère se plaça derrière Fédia ; par-dessus la tête de celui-ci, elle voyait son fils et le drapeau. Autour d’elle, des visages animés apparaissaient et disparaissaient ; des yeux de toutes couleurs étincelaient ; son fils et André étaient au premier rang. Elle entendait leurs voix : celle d’André, moite et voilée, se mêlait fraternellement à la voix plus épaisse et rude de son fils :

Lève-toi, peuple ouvrier,
Révoltez-vous, gens affamés !…

Et le peuple courait à la rencontre de l’étendard rouge, ses cris se mêlaient aux vibrations de la chanson, de la chanson qu’à la maison on chantait à voix plus basse que les autres. Dans la rue, elle résonnait avec une force terrible, comme l’airain d’une cloche ; elle conviait les hommes à suivre la voix lointaine qui menait à l’avenir, mais elle les prévenait loyalement des difficultés certaines.

Nous irons vers nos frères souffrants…