Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/19

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Il attacha plus de soin à la propreté de son corps et de ses vêtements ; il se mouvait avec plus d’adresse et d’aisance ; il devint plus simple d’apparence, plus doux ; il inquiétait sa mère. Il la traitait d’une manière nouvelle, faisait son lit lui-même le dimanche, en général, sans phrases, sans ostentation, il s’efforçait de lui alléger la besogne. Personne n’agissait ainsi dans le faubourg…

Un jour, il rapporta un tableau qu’il accrocha au mur, et qui représentait trois personnages aux traits empreints de décision, de courage.

— C’est le Christ ressuscité se rendant à Emmaüs ! expliqua le jeune homme.

Le tableau plut à Pélaguée, mais elle pensa :

— Tu honores le Christ et tu ne vas pas à l’église…

Puis, d’autres tableaux encore vinrent orner les murs, le nombre des livres augmenta sur le beau rayon qu’un menuisier, un camarade de Pavel, avait placé. La chambre prenait un aspect agréable.

Le jeune homme disait souvent « vous » à sa mère et l’appelait « maman ». Parfois, il lui adressait quelques brèves paroles :

— Mère, ne soyez pas inquiète, je vous en prie, je reviendrai tard ce soir…

Et sous ces mots, elle sentait qu’il y avait quelque chose de fort et de sérieux, qui lui plaisait.

Mais son anxiété grandissait sans cesse, et comme elle ne s’en expliquait pas avec Pavel, c’était devenu comme un pressentiment de quelque chose d’extraordinaire qui lui étreignait de plus en plus le cœur. Parfois elle pensait :

— Les autres vivent comme des créatures humaines, mais lui, il est comme un moine… Il est trop sérieux… Ce n’est pas de son âge…

Elle se demandait :

— Peut-être a-t-il une amie ?

Mais, pour être aimé des demoiselles, il faut de l’argent, et il lui donnait presque tout son salaire.

C’est ainsi que passèrent les semaines, les mois, presque deux ans, d’une vie bizarre et silencieuse, pleine de pensées, de craintes confuses sans cesse croissantes.