Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/203

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— Comment vous appelez-vous ?

— Sophie !

La mère l’examina avec attention. Il y avait quelque chose de hardi, de trop audacieux et de trop précipité chez cette femme. Elle parlait avec assurance.

— L’important c’est que les camarades ne restent pas trop longtemps en prison, c’est qu’ils soient vite jugés. Et dès que Pavel sera en Sibérie, nous le ferons évader… on ne peut se passer de lui ici…

Après avoir cherché des yeux un endroit où elle pût jeter sa cigarette, Sophie l’enfonça dans un pot de fleurs.

— Vous allez faire périr la plante ! remarqua machinalement la mère.

— Pardon ! dit Sophie, Nicolas me le répète sans cesse… Et retirant le bout de sa cigarette, elle le lança par la fenêtre…

— Je vous prie de m’excuser ! J’ai parlé sans réfléchir. Est-ce à moi de vous reprendre ?…

— Et pourquoi pas, si je suis une sotte ? répartit tranquillement Sophie en haussant les épaules. Le café est prêt. Merci ! Pourquoi une seule tasse ! Vous n’en voulez pas ?

Et, prenant la mère par les épaules, elle l’attira à elle, la regarda fixement, et lui demanda avec étonnement :

— Vous gêneriez-vous ?

La mère répondit en souriant :

— Je suis arrivée ici hier, et je me conduis comme si j’étais chez moi et vous connaissais depuis longtemps… je n’ai peur de rien, je dis ce que je veux, je fais même des observations…

— Et c’est très bien ! s’exclama Sophie.

— Je ne sais plus où j’ai la tête… je ne me reconnais plus moi-même ! continua la mère. Autrefois, on tournait longtemps autour des gens avant de leur parler à cœur ouvert, et maintenant l’âme ne craint plus rien, et on dit du coup des choses que l’on n’aurait pas même pensées autrefois… et que de choses !…

Sophie alluma une seconde cigarette ; ses yeux gris posaient sur la mère un regard caressant.

— Vous dites que vous organiserez l’évasion de Pavel… mais comment vivra-t-il après ?