Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/215

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pénible, dangereuse… et pourtant votre cœur est souriant…

— Je ne sens pas que ma vie soit pénible, je ne puis m’en figurer une qui soit plus intéressante et meilleure que celle-ci…

— Qui vous récompensera de vos peines ?

— Nous sommes déjà récompensés ! répondit Sophie d’un ton qui sembla plein de fierté à la mère. Nous nous sommes organisé une vie qui nous satisfait, que peut-on souhaiter de plus ?

La mère lui jeta un coup d’œil et baissa la tête, en se répétant :

— Elle ne plaira pas à Rybine…

Aspirant à pleins poumons l’air tiède, les deux femmes marchaient d’un pas lent, mais soutenu. Il semblait à Pélaguée qu’elle allait en pèlerinage. Elle se rappela son enfance et le pur bonheur qui l’animait lorsque, les jours de fête, elle quittait son village pour se rendre à quelque monastère lointain, vers une image miraculeuse.

De temps à autre, Sophie chantait de sa belle voix des chansons nouvelles qui parlaient de l’amour ou du Ciel ; ou bien elle se mettait soudain à déclamer des vers célébrant les champs et les bois, le Volga, et la mère écoutait et souriait ; sans le vouloir, elle hochait la tête au rythme de la poésie, dont la mélodie la charmait.

Dans son cœur, tout était paisible, tiède et doux, comme un vieux petit jardin par un soir d’été.


V


Le troisième jour, en arrivant dans un village, la mère demanda à un paysan qui travaillait aux champs où se trouvait la fabrique de goudron. Bientôt les deux femmes descendirent un étroit sentier raide et agreste, pareil à un escalier dont les racines formaient les marches ; elles aperçurent une petite clairière arrondie, tout encombrée de copeaux et de charbon avec, çà et là, des flaques de goudron.