Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/236

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de vérité et de liberté, d’élever son esprit. Souvent, les opinions divergeaient, on se fâchait, on s’accusait mutuellement, on s’offensait pour recommencer ensuite à discuter.

La mère sentait qu’elle connaissait mieux que tous ces discoureurs la vie des ouvriers, qu’elle voyait plus nettement l’immensité de la tâche qu’ils s’étaient donnée ; et cela lui permettait de traiter les camarades avec la condescendance un peu mélancolique d’une personne d’âge mûr qui voit des enfants jouer au mari et à la femme, sans comprendre le tragique de la situation.

Involontairement, elle comparait leurs discours avec ceux de son fils, avec ceux d’André, et elle en apercevait maintenant la différence, qui lui échappait auparavant. Il lui semblait qu’ici on criait plus qu’au faubourg, et elle se disait :

— Ils sont plus savants, ils parlent plus fort.

Mais elle constatait trop souvent que tous ces hommes paraissaient s’échauffer mutuellement à dessein, que leur excitation était factice ; chacun voulait démontrer à ses camarades qu’il était plus près de la vérité qu’eux, qu’elle leur était plus chère qu’à eux ; les autres en étaient blessés et, à leur tour, pour prouver combien ils connaissaient cette vérité, ils discutaient avec âpreté et rudesse. Chacun voulait sauter plus haut que l’autre, et la mère en éprouvait une tristesse angoissée. Elle remuait les sourcils en promenant sur les assistants un regard de supplication ; elle pensait :

« Ils ont oublié Pavel et ses camarades… ils les ont oubliés. »

Elle écoutait toujours attentivement les discussions que, naturellement, elle ne comprenait pas ; elle cherchait à démêler les sentiments sous les paroles. Elle s’aperçut que lorsqu’au faubourg, on parlait du bien, on le prenait en son entier, tandis qu’ici, tout se fragmentait et s’amenuisait ; là, on sentait avec plus de force et de profondeur ; ici, c’était le domaine des pensées tranchantes qui découpaient tout en menus morceaux. Ici, on parlait davantage de la destruction du monde ancien ; là, on rêvait au nouveau, et c’est pourquoi les discours de son fils et d’André étaient plus compréhensibles, plus à la portée de Pélaguée.

Un sourd mécontentement envers les hommes se