Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/241

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être indépendants, les hommes sont obligés d’amasser de l’argent, et non de la science. Et, quand ils auront chassé l’avidité, ils se libéreront de l’esclavage du travail forcé.

La mère ne comprenait que rarement le sens des paroles de Nicolas, mais elle était très sensible à la foi paisible qui les animait.

— Il y a trop peu d’hommes libres sur la terre, c’est ce qui fait le malheur de l’humanité ! disait-il.

En effet, Pélaguée connaissait des gens qui s’étaient affranchis de la haine et de la rapacité ; elle comprenait que si le nombre de ces gens augmentait, le visage noir et terrible de la vie deviendrait plus accueillant et plus simple, meilleur et plus lumineux.

— L’homme est obligé d’être cruel malgré lui ! disait tristement Nicolas.

La mère acquiesçait d’un signe de tête et se rappelait le Petit-Russien.


VIII


Un jour, Nicolas, à l’ordinaire très exact, revint de son bureau beaucoup plus tard que de coutume ; au lieu d’enlever son pardessus, il dit vivement en se frottant les mains :

— Savez-vous, Pélaguée, aujourd’hui, un de nos camarades s’est échappé de la prison à l’heure des visites… Mais je n’ai pas réussi à savoir qui c’est…

La mère chancela, envahie par l’émotion ; elle se laissa tomber sur une chaise et demanda en chuchotant :

— Pavel, peut-être !

— Peut-être ! répondit Nicolas en haussant les épaules. Mais comment l’aider à se cacher, où le trouver ? Je viens de me promener dans les rues pour voir si je le rencontrerais. C’est bête, mais il faut faire quelque chose ; je vais sortir de nouveau…

— Moi aussi ! s’écria la mère.

— Allez chez Iégor, peut-être a-t-il des nouvelles ! conseilla Nicolas, et il s’en alla.

La mère jeta un fichu sur sa tête ; pleine d’espoir, elle sortit aussitôt après Nicolas. Elle voyait trouble ;