Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/246

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— Là aussi ?…

— Ne dites pas de sottises…

Tout en parlant, la jeune femme avait remis la couverture sur la poitrine du malade, fixement observé Vessoftchikov, mesuré de l’œil la médecine… Elle parlait d’une voix égale et basse, mais sonore ; ses mouvements avaient de l’ampleur ; son visage était pâle et ses sourcils noirs se rejoignaient presque à la racine du nez. Cette physionomie déplut à la mère, qui la jugea arrogante ; les yeux n’avaient ni éclat, ni sourire ; la voix, des intonations de commandement.

— Nous partons ! continua-t-elle. Je reviendrai bientôt. Vous, vous donnerez à Iégor une cuillerée à soupe de cette potion… Ne lui permettez pas de parler…

Et elle sortit en emmenant le grêlé.

— Quelle merveilleuse femme ! dit Iégor avec un soupir. Quelle admirable créature !… C’est chez elle que vous auriez dû vous installer grand-mère. Elle travaille beaucoup… Elle est très fatiguée…

— Ne parle pas, tiens, bois plutôt ! répondit affectueusement la mère.

Il avala le remède et continua en fermant un œil :

— Qu’importe ! j’aurai beau me taire, je mourrai quand même…

Il regarda la mère, tandis que ses lèvres s’ouvraient lentement en un sourire. La mère baissa la tête ; un sentiment de pitié aigu fit couler ses larmes…

— Ne pleurez pas, grand-mère, c’est naturel… Le plaisir de vivre entraîne après lui la nécessité de mourir…

La mère lui posa la main sur la tête et dit à voix basse :

— Tais-toi, hein !

Mais, fermant les yeux comme pour écouter les râles dans sa poitrine, il continua obstinément :

— C’est stupide de me taire, grand-mère… Qu’y gagnerais-je ? quelques minutes d’agonie de plus, et je perdrais le plaisir de bavarder avec une brave femme… Je ne crois pas qu’il y ait dans l’autre monde d’aussi braves gens que dans celui-ci…

La mère l’interrompit avec agitation :

— Elle va revenir, la dame, elle me grondera parce que tu parles…