Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/254

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Lioudmila se leva, s’approcha de la fenêtre et l’ouvrit. La mère leva la tête et regarda autour d’elle en soupirant. Un instant après, Lioudmila et elles étaient près de la croisée ; serrés les uns contre les autres, ils regardaient le sombre visage de la nuit d’automne. Au-dessus des arbres, les étoiles scintillaient et reculaient jusqu’à l’infini lointain des cieux…

Lioudmila prit la mère par le bras et appuya sans mot dire la tête sur son épaule. Le médecin essuyait son lorgnon avec son mouchoir. Au dehors, le bruit nocturne de la ville soupirait, lassé ; la fraîcheur glaçait les visages et agitait les cheveux. Lioudmila avait des frissons ; des larmes ruisselaient sur ses joues… Dans le corridor de l’hôpital, erraient des sons assourdis, fripés, effrayés, des piétinements pressés, des gémissements, des chuchotements désolés. Immobiles près de la fenêtre, Lioudmila, la mère et le médecin regardaient les ténèbres et se taisaient…

Pélaguée sentit qu’elle était de trop, et, après avoir dégagé doucement son bras de l’étreinte de la jeune femme, elle se dirigea vers la porte, non sans s’être inclinée devant le mort.

— Vous partez ? demanda le médecin à voix basse et sans se retourner.

— Oui !

Dans la rue, elle pensa à Lioudmila. « Elle ne sait pas même bien pleurer ! » se dit-elle en se rappelant ses larmes parcimonieuses.

Les dernières paroles de Iégor la firent soupirer. Tout en marchant à pas lents, elle se remémorait ses yeux vifs, ses plaisanteries, ses opinions sur la vie.

— Pour les braves gens, l’existence est pénible et la mort légère… Comment mourrai-je, moi ?

Puis elle se représenta Lioudmila et le médecin debout près de la fenêtre, dans la chambre blanche et trop claire, les yeux ternis de Iégor ; et, envahie par un sentiment oppressant de pitié, elle soupira profondément et se mit à marcher plus vite, poussée par un vague pressentiment…

« Il faut avancer ! » pensa-t-elle en obéissant à l’impulsion de vaillance attristée qui lui venait au cœur…