Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/261

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s’apaisa ; seuls les pas assourdis résonnaient, faisaient une rumeur qui s’élevait par-dessus les têtes, s’envolait dans le ciel transparent, ébranlait l’air comme l’écho du premier grondement de tonnerre d’un orage encore lointain. Le vent toujours plus froid jetait avec animosité aux visages la poussière et la boue, gonflait les robes, s’embarrassait dans les jambes, frappait les poitrines…

Ces funérailles silencieuses, sans prêtres, ni chants funèbres, ces visages pensifs aux sourcils froncés, ce bruit de pas décidés, tout cela faisait naître en la mère un sentiment d’angoisse poignante ; sa pensée tournoyait lentement, revêtait ses impressions de paroles mélancoliques :

— Vous n’êtes pas nombreux… lutteurs pour la liberté, vous n’êtes pas nombreux ! Et pourtant on a peur de vous !

Il lui semblait que ce n’était pas le Iégor qu’elle connaissait qu’on enterrait, mais une chose coutumière, qui lui était proche et indispensable. Un sentiment âpre et inquiétant envahissait son cœur : elle n’était pas d’accord avec ceux qui accompagnaient Iégor.

— Je le sais bien, pensa-t-elle, Iégor ne croyait pas en Dieu, et tous ceux-là non plus…

Mais elle ne parvenait pas à achever sa pensée, et elle soupirait, comme pour débarrasser son âme d’un fardeau :

— Ô Seigneur ! ô Seigneur !… Jésus-Christ… Est-il possible que, moi aussi, on m’enterre ainsi ?…

On arriva au cimetière. Longtemps on fit des détours entre les tombes jusqu’à ce qu’on fût parvenu à un emplacement vide, parsemé de petites croix blanches. La foule se groupa autour d’une fosse et le silence se fit. Et cet austère silence des vivants au milieu des tombeaux présageait quelque chose de terrible, qui fit tressaillir le cœur de la mère. Elle se figea dans l’attente. Entre les croix le vent sifflait et hurlait ; sur le cercueil des fleurs flétries palpitaient tristement…

Les hommes de la police, aux aguets, s’étaient alignés et suivaient leur chef de l’œil. Un grand jeune homme, tête nue, pâle, aux sourcils noirs, aux longs cheveux noirs aussi, se plaça près de la fosse. Au même instant résonna la voix enrouée de l’officier de police.

— Messieurs !