Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/27

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botte, jeta sa coiffure dans un coin et entra dans la chambre en se dandinant sur ses longues jambes. Il s’approcha d’une chaise, l’examina comme pour s’assurer de sa solidité, s’assit enfin et se mit à bâiller en recouvrant sa bouche de sa main. Il avait la tête ronde et tondue de près, les joues rasées et de longues moustaches dont la pointe retombait. Après avoir considéré la chambre de ses gros yeux bombés et grisâtres, il croisa les jambes et demanda en se balançant sur sa chaise :

— La chaumière vous appartient-elle ou la louez-vous ?

La mère, assise en face de lui, répondit :

— Nous la louons.

— Elle n’est pas fameuse ! observa l’homme.

— Pavel reviendra bientôt, attendez-le ! dit faiblement Pélaguée.

— C’est ce que je fais ! répliqua-t-il tranquillement.

Son calme, sa voix douce, la simplicité de son visage rendirent du courage à la mère. Il la regardait franchement, d’un air bienveillant ; une gaie étincelle brillait au fond de ses yeux transparents, et il y avait quelque chose d’amusant et de sympathique dans cette créature anguleuse et voûtée perchée sur de longues jambes. L’homme était vêtu d’un pantalon noir dont le bas était rentré dans les bottes et d’une blouse bleue. La mère avait envie de lui demander qui il était, d’où il venait, s’il connaissait son fils depuis longtemps, lorsque soudain il s’agita et dit :

— Qui est-ce qui vous a troué le front, petite mère ?

Il parlait d’une voix caressante, et souriait des yeux. Mais la question irrita la femme. Elle serra les lèvres et, après un instant de silence, elle s’informa avec une froide politesse :

— Et qu’est-ce que cela peut vous faire, petit père ?

Il se tourna vers elle de tout son corps :

— Mais ne vous fâchez donc pas ! Je vous ai demandé cela parce que ma mère adoptive avait aussi la tête trouée tout à fait comme vous. C’était son conjoint qui l’avait battue, avec un embauchoir ! Il était cordonnier. Elle était blanchisseuse. Elle m’avait déjà adopté quand, pour son malheur, elle a trouvé cet ivrogne on ne sait où ! Il la battait, je ne vous dis que