ironie, mais cette ironie dissimulait mal le besoin de s’instruire ; avec colère, mais sous cette colère il y avait de la peur ; pensivement, avec une nuance d’espoir et de menace… En larges cercles, lentement, l’agitation se propageait dans la vie sombre et stagnante ; la pensée endormie se réveillait ; on ne traitait plus les événements journaliers avec le calme coutumier et la force d’auparavant. La mère remarquait cela plus distinctement que ses compagnons, car elle connaissait mieux qu’eux la figure désolée de la vie ; elle en était plus proche et voyait s’y former des rides de réflexion et d’irritation, une vague soif de quelque chose de nouveau ; elle se réjouissait et craignait en même temps. Elle se réjouissait, parce qu’elle considérait tout cela comme l’œuvre de son fils ; elle craignait, car elle savait que, dès sa sortie de prison, il se placerait à l’endroit le plus dangereux, à la tête des camarades… et qu’il périrait.
Pélaguée sentait souvent s’agiter en elle les grandes pensées indispensables à l’humanité et éprouvait le besoin de parler de la vérité ; mais elle ne parvenait presque jamais à réaliser son désir. Sourdes et muettes, ses pensées l’accablaient. Parfois, l’image de son fils prenait à ses yeux les proportions gigantesques d’un héros de légende ; elle résumait en lui toutes les paroles fortes et loyales qu’elle avait entendues, toutes ses affections, toutes les choses grandes et lumineuses qu’elle connaissait. Alors, elle le contemplait avec un enthousiasme muet ; fière, attendrie, remplie d’espérance, elle se disait :
— Tout ira bien !… tout !
Son amour maternel s’enflammait, lui étreignait le cœur jusqu’à le faire saigner, mais il empêchait l’amour pour l’humanité de croître et le consumait ; et il ne restait plus, à la place de ce grand sentiment, qu’une petite pensée désolée qui palpitait timidement sur les cendres grises de l’inquiétude.
— Il périra… il périra !…
Très tard, elle s’endormit d’un lourd sommeil, mais se réveilla de bonne heure, les os rompus, la tête lourde.