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Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/287

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— Il m’a reconnue !… est-il possible qu’il m’ait reconnue ?

Et, vibrant d’une joie angoissée et poignante, elle lui fit un signe de tête. Mais elle remarqua aussitôt que le paysan aux yeux bleus, qui se trouvait près de Rybine, la considérait. Ce regard éveilla en elle la conscience du danger…

— Qu’est-ce que je fais ?… on m’arrêtera aussi…

Le paysan chuchota quelques mots à Rybine, qui hocha la tête, et dit d’une voix saccadée, mais distincte et vaillante :

— Qu’importe ! Je ne suis pas seul sur la terre… On n’emprisonnera jamais toute la vérité ! On se souviendra de moi partout où j’ai passé… Voilà ! Le nid a été détruit, qu’importe, il n’y avait plus là d’amis, ni de camarades !

— C’est pour moi qu’il parle ! pensa la mère.

— Le peuple saura bien faire d’autres nids pour la vérité, et le jour viendra où les aigles s’envoleront librement… où le peuple s’affranchira !

Une femme apporta un seau d’eau et, tout en se lamentant, se mit à laver le visage du prisonnier. Sa voix plaintive et grêle se mêlait aux paroles de Rybine et empêchait la mère de comprendre ce qu’il disait. Un groupe de paysans, précédé du commissaire de la police rurale, s’avança ; quelqu’un ordonna :

— Un char pour mener le prisonnier à la ville !… Hé ! À qui est-ce de le fournir ?

Puis le commissaire cria d’une voix toute changée et comme vexée :

— Je peux te frapper, mais toi tu ne le peux pas, tu n’en as pas le droit, imbécile !

— Ah ! Et qui es-tu donc ? Dieu ? répliqua Rybine.

Des exclamations étouffées couvrirent la réponse.

— Ne discute pas, oncle ! C’est un chef !

— Ne vous fâchez pas, Votre Noblesse !

— Tais-toi, original !

— On va te conduire à la ville à l’instant !…

— La loi y est plus respectée !…

Les cris de la foule se faisaient conciliants, suppliants ; ils se mêlaient en un fracas indistinct, plaintif, où nulle note d’espoir ne résonnait. Les gardes prirent Rybine par le bras, le conduisirent sur le perron de