Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/289

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— Puis-je passer la nuit chez toi ?

Aussitôt ses muscles, son corps tout entier se tendirent. Des pensées aiguës passaient rapidement dans son cerveau :

— Je vais perdre Nicolas… Je ne verrai plus Pavel… pendant longtemps… on me battra !

L’homme répondit sans se presser, le regard à terre, tout en croisant son sarrau sur sa poitrine :

— Passer la nuit ? Oui… pourquoi pas ? Seulement, ma chaumière n’est pas bien fameuse…

— Je ne suis pas gâtée ! répondit la mère.

— C’est bon ! acquiesça le paysan en la toisant d’un regard scrutateur.

Dans le crépuscule, ses yeux avaient un éclat froid et son visage paraissait très pâle. La mère dit à mi-voix :

— Eh bien, je viens avec toi tout de suite… tu prendras ma valise…

— C’est entendu…

Il haussa les épaules, croisa de nouveau son sarrau et chuchota :

— Voyez, voilà le cortège !…

Rybine apparut sur le perron de l’administration ; ses mains étaient de nouveau liées, sa tête et son visage enveloppés de quelque chose de grisâtre. Sa voix résonna dans le crépuscule glacial.

— Au revoir, braves gens ! Cherchez la vérité, gardez-la, croyez en ceux qui vous apporteront la bonne parole… N’épargnez pas vos forces pour défendre la vérité…

— Tais-toi, chien ! cria le commissaire. Garde, fais marcher les chevaux !

— … Qu’avez-vous à regretter ? Quelle est votre existence ?

Le char s’ébranla. Assis entre deux gardes, Rybine cria encore d’une voix sourde :

— … Pourquoi, mourez-vous de faim ? Travaillez pour obtenir la liberté… elle vous donnera et le pain et la vérité… Adieu, bonnes gens !

Le bruit précipité des roues, le piétinement des chevaux, les invectives du commissaire de police se mêlaient à sa voix, la coupaient et l’étouffaient.

La mère rentra dans la maison, s’assit à table près du samovar, prit un morceau de pain, l’examina et le posa