Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/294

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La mère le regarda et lui dit d’un ton provocant :

— Je vous la laisserai !…

Il ne parut pas surpris, ne protesta pas et répéta seulement :

— À nous ?

Soudain il chuchota en prêtant l’oreille, le cou tendu vers la porte :

— On vient !

— Qui ?

— Les nôtres… probablement…

La femme entra, suivie du paysan aux taches de rousseur. Ce dernier jeta sa casquette dans un coin, s’approcha du maître de la demeure et demanda :

— Eh bien ?

L’autre hocha affirmativement la tête.

— Stépane ! dit la femme, peut-être la voyageuse a-t-elle faim ?

— Non, merci, ma chère ! répondit la mère.

Le second paysan se tourna vers elle et se mit à parler d’une voix rapide et brisée :

— Permettez-moi de me présenter… Je m’appelle Pierre Rabinine, mon surnom est L’Alène. Je comprends un peu vos affaires… Je sais lire et écrire, je ne suis pas un imbécile, pour ainsi dire…

Il prit la main que la mère lui tendait et la secoua, tout en disant à Stépane :

— Eh bien, regarde, Stépane ! La femme du seigneur est une bonne dame, c’est vrai ! Elle dit pourtant que tout ça, c’est des bêtises, des extravagances… que ce sont des étudiants, des galopins qui s’amusent à agiter le peuple. Et pourtant, tous les deux, nous avons vu aujourd’hui qu’on a arrêté un homme sérieux ; et maintenant, tu vois, cette femme qui n’est plus jeune et qui n’a pas l’air d’être une dame, elle en est aussi… Ne vous fâchez pas ! Comment vous appelez-vous ?

Il parlait vite, mais distinctement, sans reprendre haleine, son menton tremblait fébrilement et ses yeux plissés scrutaient le visage et le corps de Pélaguée. Déguenillé, les cheveux ébouriffés, on eût dit qu’il venait de se battre, qu’il avait vaincu son adversaire et était tout plein de la joyeuse excitation de la victoire. Il plut à la mère par sa vivacité et surtout parce qu’il avait parlé simplement et franchement dès le début. Elle lui