Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/299

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son visage lui donnait l’air plus mûr… Assise à côté de la mère, Tatiana, les coudes sur les genoux, regardait le bout de ses souliers…

— Ah ! voilà ! chuchota Pierre.

Il s’assit sur le banc avec précaution en secouant la tête.

Stépane se redressa lentement, jeta un coup d’œil sur sa femme et tendit les bras, comme s’il eût voulu étreindre quelque chose…

— Si on veut se mettre à cet ouvrage, commença-t-il d’un ton pensif, il faut en effet le faire de toute son âme…

Pierre intervint timidement.

— Oui… sans regarder en arrière…

— L’affaire est bien emmanchée ! continua Stépane.

— Sur toute la terre… ajouta encore Pierre.


XVII


Adossée au mur, la tête rejetée en arrière, Pélaguée écoutait les réflexions des deux hommes.

Tatiana se leva, regarda autour d’elle et s’assit de nouveau. Ses yeux verts brillaient d’un éclat sec, quand elle jeta des coups d’œil de mépris sur les deux hommes.

— On voit que vous avez eu bien des malheurs ! dit-elle soudain en s’adressant à la mère.

— Oui !

— Vous parlez bien… Vos paroles vont droit au cœur… On se dit en vous écoutant : — Mon Dieu, si on pouvait voir ne serait-ce qu’une fois des gens pareils, une vie si belle ! Comment vivons-nous, nous autres ? Comme des moutons… Je sais lire et écrire… je lis des livres… je réfléchis beaucoup… quelquefois les pensées ne me laissent pas dormir la nuit… Et quel est le résultat de tout cela ? Si je ne réfléchis pas, je souffre en vain, si je réfléchis, c’est la même chose… D’ailleurs, tout est en pure perte !… Ainsi les paysans, ils travaillent, ils s’éreintent pour un morceau de pain… et ils n’ont jamais rien… cela les irrite, ils boivent, ils se battent… et ils se remettent à travailler… Et qu’en résulte-t-il ? Rien…