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Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/305

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Une clarté se fit, tremblota et se noya dans les ténèbres. Le paysan s’approcha de la couche de la mère et arrangea la pelisse qu’elle avait mise sur ses jambes. Cette attention toucha profondément Pélaguée ; fermant de nouveau les yeux, elle sourit. Stépane se déshabilla sans bruit et grimpa dans la soupente.

Tout en prêtant une oreille attentive aux oscillations paresseuses du silence somnolent, la mère restait immobile ; devant elle, dans les ténèbres, le visage ensanglanté de Rybine se dessinait…

Un léger chuchotement lui arriva de la soupente…

— Tu vois, regarde quelles gens se mettent à cet ouvrage, des gens déjà âgés, qui ont eu mille chagrins, qui ont travaillé ; le moment serait venu de se reposer, mais eux, voilà ce qu’ils font… Et toi, Stépane… tu es jeune, tu es intelligent… ah !…

La voix épaisse et humide de l’homme répondit :

— On ne peut pas s’engager dans une affaire pareille sans réfléchir… attends un peu… je connais ce refrain…

Les sons moururent, puis résonnèrent de nouveau. Stépane dit :

— Voilà ce qu’il faut faire : il faut, d’abord parler avec chaque paysan en particulier. Ainsi, par exemple, avec Alécha Makov… il est instruit, audacieux et irrité contre les autorités… avec Serge Chorine aussi, c’est un paysan sensé… avec Kniazev, il est honnête et courageux ! C’est assez pour commencer !… Après, quand nous serons une petite bande, nous verrons ! Il faut savoir comment retrouver cette femme… il faut se rapprocher des gens dont elle parlait… Je vais prendre ma hache et j’irai à la ville… tu diras que j’ai été gagner quelque argent en fendant du bois… Il faut prendre des précautions… Elle a raison quand elle dit que c’est l’homme lui-même qui doit fixer sa propre valeur… Et quand il s’agit d’une affaire pareille, il faut s’apprécier à un très haut prix, si on veut s’en mettre… Regarde ce paysan, ce Rybine… Il ne céderait pas à Dieu lui-même, et encore moins à un commissaire… Il reste ferme, comme s’il était enfoncé dans le sol jusqu’aux genoux… Et Nikita, hein ? Il a eu honte… c’est un vrai miracle… Ah ! si le peuple se met à l’œuvre en chœur, il entraînera le monde après lui…