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Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/325

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— J’ai entendu ce nom. Mon neveu le connaît. Il est aussi en prison, mon neveu ; il s’appelle Evtchenko. Vous le connaissez ? Mon nom est Gadoune. Bientôt tout le monde sera en prison ; nous serons alors heureux et tranquilles, nous autres, les vieux. Le gendarme m’a promis d’envoyer mon neveu en Sibérie… Et il le fera, le maudit !

Il se mit à fumer en crachant à terre de temps à autre.

— Ah ! elle ne veut pas ? continua-t-il en s’adressant au jeune homme. C’est son affaire… L’homme est libre… S’il est fatigué, qu’il s’asseye ; s’il est las d’être assis, qu’il marche… Si on le dépouille, qu’il se taise ; si on le bat, qu’il le supporte avec patience. Si on le tue, qu’il tombe… C’est bien certain… Mais moi, je ferai sortir mon neveu… Je le ferai sortir…

Ses phrases courtes, pareilles à des jappements, rendirent la mère perplexe ; sa jalousie fut excitée par les derniers mots du vieillard.

Dans la rue, elle allait sous le vent froid et la pluie et pensait à Vessoftchikov.

— Comme il a changé… voyez-vous ça !

Et, songeant à Gadoune, elle médita, presque pieusement :

— À ce qu’il paraît, je ne suis pas la seule à vivre la vie nouvelle.

Puis, dans son cœur se dressa l’image de son fils :

— Si seulement il consentait !…


XXI


Le dimanche suivant, en prenant congé de Pavel, au greffe de la prison, elle sentit dans sa main une petite boulette de papier. Cela la fit tressaillir, et elle jeta sur son fils un regard interrogateur et suppliant ; mais Pavel ne lui donna aucune réponse. Ses yeux bleus avaient comme d’habitude le sourire tranquille et ferme qu’elle connaissait bien.

— Adieu ! dit-elle en soupirant.

De nouveau, Pavel lui tendit la main, tandis que son visage prenait une expression caressante.