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Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/329

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derrière la grille. Nicolas se mit à siffloter, puis s’assit à la table et prit sa plume.

— Elle s’occupera de cette affaire et cela la soulagera ! dit la mère à mi-voix.

— Évidemment ! répliqua Nicolas ; et, se tournant vers la mère, il lui demanda, son bon visage illuminé par un sourire : Cette coupe a été épargnée à vos lèvres, mère… Vous n’avez jamais soupiré après l’homme aimé ?

— Quelle idée ! s’écria-t-elle, en agitant la main. Moi, soupirer ? J’avais seulement peur qu’on m’obligeât à épouser l’un ou l’autre…

— Personne ne vous plaisait ?

Elle réfléchit et répondit :

— Je ne m’en souviens pas, mon ami… Il est probable qu’il y en avait un qui me plaisait mieux que les autres… Comment en serait-il autrement ?… Mais je ne m’en souviens pas.

Elle le regarda et conclut avec une tristesse pénible :

— Mon mari m’a tellement battue, que tout ce qui s’est passé avant s’est effacé de mon âme…

La mère sortit un instant ; quand elle revint, Nicolas lui dit avec un regard affectueux, comme pour caresser ses souvenirs avec des mots tendres et amoureux :

— Voyez-vous… moi aussi, j’ai eu une… histoire… comme Sachenka. J’aimais une jeune fille, une créature exquise ; elle était l’étoile qui me guidait… Il y a vingt ans que je la connais et que je l’aime… je l’aime maintenant encore, à vrai dire… Je l’aime toujours autant… de toute mon âme, avec gratitude…

La mère voyait ses yeux illuminés d’une flamme vive et chaude. Il avait posé sa tête sur ses bras appuyés au dossier de son fauteuil, et regardait au loin, on ne sait où ; tout son corps, maigre et mince, mais robuste semblait se tendre en avant, telle une tige qui se tourne vers la lumière du soleil.

— Mais alors… mariez-vous ! conseilla la mère.

— Oh ! Il y a cinq ans qu’elle est mariée !

— Pourquoi ne l’avez-vous pas épousée avant ? Elle ne vous aimait pas ?

Il répondit après un instant de réflexion :

— Je crois qu’elle m’aimait… j’en suis même sûr ! Mais, voyez-vous, nous avons eu de la malchance :