visage appuyé dans ses mains. Un des jeunes gens venus avec Pavel était roux, frisé et mince ; ses yeux verts avaient une expression joyeuse ; il avait envie de dire quelque chose et faisait des gestes d’impatience ; l’autre, aux cheveux blonds et courts, se caressait la tête en regardant le plancher ; son visage n’était pas visible.
Il faisait chaud dans la chambre, ce qui était tout particulièrement agréable ce soir-là. Dans le gazouillement de la voix de Natacha, mêlé à la chanson tremblante du samovar, la mère se rappelait les soirées bruyantes de sa jeunesse, les mots grossiers des garçons, qui puaient l’alcool, leurs plaisanteries cyniques. À ces souvenirs, son cœur humilié se serrait de pitié pour elle-même.
Elle revécut en pensée le moment où son mari défunt l’avait demandée en mariage. C’était pendant une soirée ; il l’avait arrêtée dans un corridor obscur, l’avait serrée contre le mur de toute sa force, et lui avait proposé d’une voix sourde et irritée :
— Veux-tu te marier avec moi ?
Elle s’était sentie outragée ; il lui faisait mal en lui pétrissant la poitrine de ses gros doigts, il reniflait et lui envoyait au visage son haleine chaude et humide. Elle essaya de s’arracher à son étreinte, de lui échapper…
— Où vas-tu ? hurla-t-il. Réponds-moi d’abord !
Elle avait gardé le silence, haletante de honte et de colère.
— Ne fais pas d’embarras, nigaude ! Je vous connais, vous autres ! Au fond, tu es bien contente…
Quelqu’un ayant ouvert une porte, il avait quitté la jeune fille sans se hâter en disant :
— Je t’enverrai demander en mariage dimanche.
Il avait tenu parole.
Pélaguée ferma les yeux et soupira profondément.
— Je n’ai pas besoin de savoir comment les hommes ont vécu, mais comment il faut vivre, dit soudain Vessoftchikov d’une voix sourde et mécontente.
— Il a raison ! ajouta le jeune homme roux en se levant.
— Je ne suis pas d’accord ! s’écria Fédia. Si nous voulons aller de l’avant, nous devons tout savoir.