Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/342

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

passait n’était pour elle que la préface inutile et forcée de quelque chose de terrible dont la venue écraserait tous les assistants d’une froide terreur. Mais les réponses paisibles de Pavel et d’André avaient autant de fermeté et d’intrépidité que si elles eussent été prononcées dans la petite maison du faubourg et non devant des juges. La repartie ardente et juvénile de Fédia lui semblait amusante. Un sentiment d’audace et de fraîcheur naissait dans la salle ; et, par les mouvements de ceux qui étaient derrière elle, la mère sentait qu’elle n’était pas seule à l’éprouver.

— Votre opinion ? demanda le vieillard.

Le procureur chauve se leva en se tenant d’une main à son pupitre ; il pérora avec rapidité en citant des chiffres. Il n’y avait rien de terrible dans sa voix. Cependant en l’entendant, Pélaguée sentit comme un coup de poignard au cœur : c’était une vague sensation de quelque chose d’hostile ; cela lui parut se développer lentement en une masse insaisissable. La mère considérait les juges, mais elle ne les comprenait pas : contrairement à son attente, ils ne s’irritaient pas contre Pavel et Fédia, ils n’avaient pas de mots blessants, elle trouvait que toutes les questions qu’ils posaient n’avaient pas d’importance pour eux ; ils avaient l’air d’interroger à contre-cœur, ils écoutaient avec effort les réponses ; rien ne les intéressait, ils savaient tout d’avance.

Maintenant, un gendarme se tenait devant eux et parlait d’une voix de basse.

— Tout le monde a désigné Pavel Vlassov comme le principal instigateur.

— Et André Nakhodka ? demanda le gros juge nonchalamment.

— Lui aussi !

L’un des avocats se leva et dit :

— Puis-je ?…

Le vieillard demanda à quelqu’un :

— Vous n’avez pas d’objection ?

Il semblait à la mère que les juges étaient tous malades. Une lassitude morbide se dégageait de leurs attitudes, de leur voix, de leur visage. On voyait que tout les dégoûtait : les uniformes, la salle, les gendarmes, les avocats, l’obligation de rester dans leurs fauteuils, d’interroger et d’écouter. Rarement Pélaguée avait rencontré