Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/350

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L’avocat que la mère avait vu chez Nicolas, se leva. Il avait le visage large et l’air débonnaire ; ses petits yeux rayonnaient ; il semblait avoir sous ses sourcils roux deux pointes acérées qui coupaient quelque chose dans l’air, comme des ciseaux. Il se mit à parler sans se presser, d’une voix sonore et nette ; mais la mère ne put l’écouter, Sizov lui chuchota à l’oreille :

— Tu as compris ce qu’il dit ? Il dit que ce sont des fous, des mauvais garnements à l’humeur batailleuse. C’est de Fédia qu’il veut parler !

Elle ne répondit pas, accablée par cette cruelle déception.

Son humiliation augmentait, lui oppressait l’âme. Maintenant, elle comprit pourquoi elle attendait la justice, pourquoi elle pensait assister à une discussion loyale et sévère entre la vérité de son fils et celle des juges. Elle se figurait que les juges interrogeraient Pavel longuement et avec attention sur sa vie ; qu’ils examineraient de leurs yeux perspicaces toutes les pensées et les actions de son fils, toutes ses journées ; et, quand ils verraient sa droiture, qu’ils diraient d’une voix forte : Cet homme a raison.

Mais il ne se passait rien de pareil ; il semblait que les accusés et les juges fussent à cent lieues les uns des autres et s’ignorassent mutuellement. Fatiguée par la tension de l’expectative, Pélaguée ne suivait plus les débats ; elle pensait, offensée :

— Est-ce ainsi qu’on juge ? Le jugement…

Et ce mot lui sembla vide et sonore ; il résonnait comme un vase d’argile fêlé.

— C’est bien fait ! chuchota Sizov en approuvant de la tête…

— On dirait qu’ils sont morts, les juges ! soupira la mère.

— Ils se ranimeront !

En les regardant elle vit, en effet, sur leurs visages une ombre d’inquiétude. C’était un autre avocat qui parlait, un petit homme à la physionomie pointue, pâle et ironique. Les juges l’interrompirent.

Le procureur se leva brusquement, d’une voix rapide et irritée, il prononça le mot de procès-verbal et conféra avec le petit vieillard. L’avocat les écoutait, la tête respectueusement inclinée ; puis il reprit la parole.