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XXVII


Quelques minutes plus tard, Pélaguée se réchauffait près du poêle dans la chambre de Lioudmila. Vêtue d’une robe noire, celle-ci allait et venait lentement dans la petite pièce, qu’elle remplissait du froufrou de ses jupes et de l’accent de sa voix autoritaire. Dans le poêle, le bois craquait et sifflait en aspirant l’air de la chambre ; la voix égale de la femme résonnait :

— Les gens sont infiniment plus bêtes que méchants. Ils ne savent voir que ce qui est près d’eux, que ce qui est à leur portée immédiate… Or tout ce qui est proche est mesquin ; seul ce qui est éloigné a de la valeur. En réalité, ce serait avantageux pour tous si la vie devenait plus facile et si les gens étaient plus intelligents… Mais pour y arriver, il faut renoncer pour le moment à vivre dans la tranquillité.

Soudain, elle se planta devant la mère, et reprit plus bas comme pour s’excuser :

— Je vois très peu de monde… quand quelqu’un vient chez moi, je me mets à pérorer… C’est ridicule, n’est-ce pas ?

— Pourquoi donc ?

Pélaguée essayait de deviner où Lioudmila imprimait ses brochures, mais elle ne voyait autour d’elle rien d’extraordinaire. Dans la pièce, dont les trois fenêtres donnaient sur la rue, il y avait un canapé, une bibliothèque, une table, des chaises, un lit contre une paroi ; dans un angle, un lavabo, dans l’autre, le poêle ; aux murs des photographies. Tout était neuf, solide et propre, et surtout la silhouette monacale de la maîtresse du logis jetait une ombre froide. On sentait qu’il y avait dans cette chambre quelque chose de mystérieux et de caché. La mère regarda les portes ; elle avait pénétré dans la pièce par l’une d’elles, qui ouvrait sur un petit vestibule ; près du poêle, il y en avait une seconde, haute et étroite.

— Je suis venue pour affaires ! dit-elle avec confusion, sentant que Lioudmila l’observait.

— Je le sais. Personne ne vient chez moi pour d’autres motifs.