Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/384

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Le vieillard marchait sans se hâter, en scrutant attentivement de ses yeux irrités le visage de Pélaguée. Elle recula tout au fond du banc.

— Pourvu qu’on ne me batte pas !… pourvu qu’on ne me batte pas !…

Il s’arrêta près d’elle et, après un silence, demanda d’une voix sévère :

— Que regardes-tu ?

— Rien…

— C’est bon… voleuse ! Tu es déjà vieille et tu fais ce métier-là !…

Il sembla à la mère que ces paroles la souffletaient. Irritées et rauques, elles faisaient mal, comme si elles eussent déchiré les joues, arraché les yeux…

— Moi ? Une voleuse ? Tu mens ! cria-t-elle de toute la force de ses poumons.

Tout ce qui l’entourait se mit à chanceler dans le tourbillon de son indignation ; son cœur était étourdi par l’amertume de l’injure. Elle saisit la valise qui s’ouvrit.

— Regarde ! Regardez tous ! s’écria-t-elle en se levant et en agitant au-dessus de sa tête un paquet de proclamations. À travers le bourdonnement de ses oreilles, elle entendait les exclamations des gens qui accouraient de tous côtés.

— Qu’y a-t-il ?

— Voilà l’agent de la police secrète…

— Qu’est-ce que c’est ?

— On dit qu’elle a volé…

— Cette femme-là ?

— Et elle crie…

— Aïe ! aïe ! Elle a l’air si respectable !

— Qui a-t-on arrêté ?

— Je ne suis pas une voleuse ! répéta la mère à pleine voix et en se calmant peu à peu à la vue des curieux qui l’entouraient d’un cercle compact.

— Hier, on a condamné des prisonniers politiques… mon fils était du nombre… C’est Vlassov. Il a prononcé un discours ; le voilà ! J’allais le porter aux gens pour qu’ils le lisent et réfléchissent à la vérité…

Quelqu’un ayant tiré avec précaution un des feuillets qu’elle tenait à la main, elle agita les autres et les lança dans la foule.