Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/386

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gouvernent, de ceux qui nous oppriment. Ce sont des enfants, ce sont des êtres purs et lumineux qui vous apportent la vérité. Grâce à eux, elle viendra, dans notre pénible existence, elle nous réchauffera et nous animera ; elle nous délivrera de l’oppression des autorités et de tous ceux qui leur ont vendu leur âme ! Croyez-le !

— Bravo, la vieille ! cria-t-on.

Quelqu’un se mit à rire.

— Dispersez-vous, hurlèrent les gendarmes, en écartant brutalement la foule. Les groupes reculaient en maugréant, emprisonnant les gendarmes de leur masse et les gênant, sans le vouloir, peut-être. Cette femme aux cheveux gris, au regard franc et à l’air de bonté, les attirait ; détachés les uns des autres, isolés par la vie, ils se confondaient maintenant en un tout, réchauffés par l’ardeur de cette parole que beaucoup attendaient sans doute depuis longtemps. Ceux qui étaient le plus près de la mère restaient silencieux. Pélaguée voyait leurs regards attentifs fixés sur elle et sentait leur souffle tiède sur sa figure.

— Monte sur le banc ! lui cria-t-on.

— Va-t’en, la vieille !

— On va te pendre !

— Ah ! quelle insolente !

— Parle vite ! ils viennent !

— Faites place ! Circulez ! criaient les gendarmes, qui approchaient.

Maintenant nombreux, ils écartaient la foule avec plus de violence encore ; les gens, bousculés, s’accrochaient les uns aux autres. Il semblait à la mère qu’il y avait un bouillonnement autour d’elle, que cette foule était prête à la comprendre et à la croire. Elle aurait voulu dire à la hâte tout ce qu’elle savait, toutes les pensées puissantes qui montaient harmonieusement, sans effort, du tréfonds de son cœur ; mais la voix lui manquait, il ne s’échappait de sa poitrine que des sons rauques, déchirés, tremblants.

— La parole de mon fils, c’est la parole pure d’un fils du peuple, d’une âme intègre ! Vous reconnaîtrez les gens intègres à leur audace ; ils sont intrépides et se sacrifient à la vérité, quand elle l’exige !

Des yeux juvéniles la regardaient à la fois avec enthousiasme et terreur…