Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/40

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visage maigre et pâle. On l’appelait Sachenka. Il y avait quelque chose de masculin dans ses gestes et dans sa démarche ; elle fronçait ses noirs sourcils d’un air irrité ; quand elle parlait, les minces narines de son nez bien dessiné frémissaient.

Ce fut elle qui dit un jour, la première :

— Nous autres, socialistes…

Quand la mère entendit ce mot, elle regarda la jeune fille avec une terreur silencieuse.

Elle savait que les socialistes avaient tué un tsar. C’était pendant sa jeunesse ; on avait dit alors que les propriétaires fonciers, irrités contre l’empereur qui avait affranchi les serfs, avaient juré de ne pas se couper les cheveux avant qu’il fût assassiné. Aussi, elle ne pouvait pas comprendre pourquoi son fils et ses camarades s’étaient faits socialistes.

Quand tout le monde fut parti, elle demanda à Pavel :

— Pavloucha, est-ce vrai que tu es socialiste ?

— Oui, répondit-il, ferme et franc comme toujours.

La mère soupira profondément et reprit en baissant les yeux :

— Est-ce bien, mon fils ?… Car ils sont contre le tsar… ils en ont déjà tué un !

Pavel se mit à aller et venir dans la chambre en se caressant la joue, puis il dit avec un sourire :

— Nous n’avons pas besoin de cela !

Il lui parla longtemps d’un ton sérieux. Elle le considérait et réfléchissait. Puis le mot terrible se répéta de plus en plus souvent, il devint aussi familier aux oreilles de la mère qu’une foule d’autres termes incompréhensibles pour elle. Mais Sachenka ne lui plaisait pas ; quand elle était là, la mère se sentait mal à l’aise, anxieuse…

Un soir, elle dit au Petit-Russien, avec une moue de mécontentement :

— Elle est bien sévère, Sachenka ! Elle commande sans cesse : faites ceci, faites cela !

Le Petit-Russien rit bruyamment.

— C’est bien vrai ! Vous avez touché juste ! N’est-ce pas, Pavel ?

— Et, clignant de l’œil, il dit d’un ton railleur :

— La noblesse !

Pavel répliqua avec sécheresse :

— C’est une vaillante fille !