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IX


Dans le faubourg, on commençait à s’occuper des socialistes qui répandaient partout des feuilles écrites à l’encre bleue. Ces pages parlaient avec méchanceté des règlements imposés aux ouvriers, des grèves de Pétersbourg et de la Russie méridionale ; elles exhortaient les travailleurs à se liguer et à lutter pour défendre leurs intérêts.

Les gens d’un certain âge, qui occupaient de bonnes places à la fabrique, s’irritaient de ces proclamations et disaient :

— Ces agitateurs, il faudrait les rosser d’importance !

Et ils apportaient les feuillets à leurs chefs.

Les jeunes gens, enthousiasmés par ces écrits, s’écriaient avec feu :

— Ils disent la vérité !

La plupart des ouvriers, éreintés par le travail, indifférents à tout, songeaient paresseusement :

— Il n’en résultera rien…

Cependant, les feuilles volantes intéressaient tout le monde, et, quand elles faisaient défaut, on se disait mutuellement :

— Il n’y en a point aujourd’hui, on a cessé de les publier.

Mais lorsque, le lundi, elles réapparaissaient, les ouvriers s’agitaient de nouveau sourdement.

À la fabrique et dans les cabarets, on apercevait des gens que personne ne connaissait. Ils questionnaient, examinaient, flairaient et frappaient chacun par leur prudence suspecte.

La mère savait que toute cette agitation était l’œuvre de son fils. Elle voyait les gens se presser autour de lui ; il n’était plus seul, et c’était moins dangereux. Et la fierté d’avoir un tel fils se joignait en elle à l’anxiété que lui inspirait l’avenir : c’étaient les travaux mystérieux du jeune homme qui se mêlaient comme un clair ruisseau au torrent boueux de la vie.

Un soir, Maria Korsounova frappa à la vitre, et lorsque la mère eut entr’ouvert le vasistas, la voisine chuchota :

— Eh bien, Pélaguée, prépare-toi ! ils ont fini de