— On te prendra aussi… on te prendra aussi ! Pourquoi Vessoftchikov a-t-il été grossier ?…
— Il a eu peur probablement !… dit Pavel à voix basse. Il ne faut pas leur parler… on ne peut rien faire avec eux ! Ils sont incapables de comprendre…
— Ils sont venus, ils l’ont pris, ils l’ont emmené ! chuchota la mère, en agitant les bras.
Son fils lui restait. Le cœur de Pélaguée se mit à battre plus tranquillement ; sa pensée s’immobilisait devant un fait qu’elle ne pouvait concevoir.
— Il se moque de nous, cet homme jaune, il nous menace…
— Assez, mère ! dit soudain Pavel avec décision. Viens, rangeons tout cela…
Il lui avait dit « mère » et « tu », comme il le faisait quand il devenait plus démonstratif. Elle s’approcha de lui, le regarda en face et demanda à voix basse :
— Ils t’ont humilié ?
— Oui ! répliqua-t-il. C’est pénible… j’aurais préféré aller avec eux…
Il sembla à la mère qu’il avait les larmes aux yeux ; et pour le consoler de son chagrin, qu’elle devinait vaguement, elle dit en soupirant :
— Patience… tu seras pris aussi !
— Je le sais, répondit-il.
Après un instant de silence, la mère ajouta avec un accent de tristesse :
— Comme tu es cruel, mon fils ! Si seulement tu me calmais… Mais non, je dis des choses terribles, et tu m’en réponds de plus terribles encore !
Il lui jeta un coup d’œil, s’approcha d’elle, et lui dit à voix basse :
— Je ne sais pas vous répondre, maman ! Je ne peux pas mentir ! Il faut vous y habituer…
Elle soupira et se tut ; puis, elle reprit, frissonnante :
— Et qui sait ? on dit qu’ils torturent les gens, qu’ils leur déchirent le corps en lambeaux et leur brisent les os. Quand j’y pense j’ai peur, Pavel, mon, chéri…
— Ils broient l’âme et non le corps… C’est encore plus douloureux que la torture, quand on touche à votre âme avec des mains sales.